Histoire des Janlorant

Au-dessus de la montagne de la Crochère, et non loin d’une des granges du hameau ci nomme, il y avait un gouffre ou un précipice de plus de cent toises de profondeurs. En 1698, cette grange était habitée par une famille de scélérats nommée JANLORANT (Jean-Laurent) Cette famille était composée de cinq frères et de leur mère, trois de ces frères assassinaient les pèlerins qui allaient à Saint-Claude, les dépouillaient et les jetaient dans ce gouffre. La mère de ces scélérats gardait la maison, elle vendait du vin aux passants, et lorsqu’elle s’apercevait que les voyageurs pouvaient avoir de l’argent, lors de leur départ elle allait sur le seuil de porte et criait dans son patois : « Les chèvres aux choux, il y en à trois, quatre, six » ou plus suivant le nombre des voyageurs, et s’ils avaient bonne mine elle criait « Elles sont grasses, retournez les. » C’était le mot du guet, elle annonçait par-là le nombre des voyageurs et l’importance de la somme d’argent qu’ils portaient sur eux. L’extrait suivant nous en dévoile le fonctionnement.

Un nommé Robin DEVAUX des Ronchaux revenant d’une foire aux Chauvins en Grand Vaux, distant de trois lieues de là, s’arrêta dans cette grange et y demanda à boire un bouteille de vin : trois de ces frères JANLORANT lui firent de grands accueils, et lui demandèrent d’où il venait par un si mauvais temps. C’était au mois d’octobre et il neigeait, il leur répondit qu’il venait de la foire où il avait vendu une jument et qu’il était parti tard parce qu’il n’avait pu être payé de bonne heure, alors ces coquins redoublèrent leur politesse, et l’engagèrent à coucher chez eux. Cet homme se laissa séduire et consentit à y coucher, on le fit bien boire.

L’heure de dormir arriva, il demanda à aller dormir sur le fenil, on l’y conduisit avec une lanterne, il trouva de la paille et s’y coucha. Dans cette grange, la cheminée était en bois et traversait le fenil. Robin DEVAUX était dans l’inquiétude et ne pouvait pas dormir, il entendait parler dans la cuisine, les voix montaient par la cheminée. Il s’approcha du bruit qu’il entendait, il écouta attentivement et entendit les mots qu’ils disaient en patois : « Le veut-on tuer ou veut-on l’étrangler ? L’un d’eux dit il faut le tuer, cela sera plutôt fait, un autre va chercher un outil et l’aiguise. » La victime entendit cela avec un effroi qui n’est pas supportable, il tremblait et ne savait pas quel partit prendre, hors de lui-même, il ne savait que devenir, il était debout et cherchait a dénoter la meilleure des idées qui roulaient dans son imagination. Lorsqu’il vit tout à coup une lumière qui lui indiqua une porte. Il fit deux pas et se cacha derrière cette porte qui s’ouvrit aussitôt et il se tint caché un moment derrière. Les coquins développèrent la lanterne en s’avançant dans le feneau, l’un d’eux dit : « Il n’est pas loin, voilà ses souliers. » Devaux qui était pieds nus se précipita par le passage qu’il avait vu ouvrir et fuit à toutes jambes, il y avait deux doigts de neige, et l’envie d’éviter la mort lui donnait du courage. Il arriva chez lui, sa femme lui demanda ce qui lui était arrivé puisqu’il était pieds nus. Il voulut faire le récit de son aventure, il tomba en défaillance. Sa femme effrayée appela son voisin, qui en appela un autre, ainsi de suite et dans une heure de temps, la maison est remplie de monde.

On donne des secours à Devaux, et bientôt, il reprend connaissance et au point du jour, il raconte ce qui lui est arrivé à ses voisins qui en furent indignés. L’un d’eux dit : « Il faut aller en force dans ce repère de scélérats, les arrêter et les livrer à la justice. » Ils partirent au nombre de six, il ne fallait qu’une demi-heure pour arriver dans cet infernal lieu, ils arrivèrent au bord d’un ruisseau qu’il fallait franchir. Ils le passèrent et reprirent les pas de Devaux qui avait fait le trajet pieds nus dans la neige, mais dans quel étonnement furent-ils lorsqu’ils reconnurent sur la neige les pas de trois hommes qui suivaient les traces de Devaux. « Voilà dirent ils les pas de ces coquins qui ont suivi ceux de Devaux, mais qui n’ont franchit le ruisseau et ont rebroussé depuis son bord, ils ont sûrement des armes et ils nous repousseront. Il vaut mieux aller les dénoncer à la justice que de nous faire tuer. » On les dénonça et il y en eu trois d’arrêtés avec la mère. Le quatrième s’était évadé et dans sa fuite, il tua un marchand au tournant de l’Adoy de Buron et fut arrêté et conduit en prison. Trois furent condamnés à la roue et la mère fut pendue, celui qui avait tué le marchand de l’Adoy y fut amené et accroché à un chêne où les oiseaux de proie dévorèrent le cadavre. Il y a au pied de ce chêne une fontaine qui porte encore aujourd’hui la dénomination de Fontaine de Janlorant. Le cinquième de ces frère fut renvoyé absout. Dans l’interrogatoire. Ils avouèrent leurs crimes et dirent qu’ils avaient envoyé plus de cents personnes dans un gouffre. Le parlement envoya un commissaire sur les lieux qui fit combler le précipice au moyen d’une certaine quantité de pieds de sapin que l’on fit jeter dedans. Ce gouffre porte encore aujourd’hui le nom de « Lésine à Janlorant » ou « Borne à Janlorant », mais elle est comblée et n’a plus aujourd’hui que six à sept pieds de profondeur.
(Voir la situation et le relevé topographique de la borne.)
Cette histoire est très connue dans le pays, la grange où habitaient les JANLORANT appartenait à une demoiselle de Moirans, elle vendit cette grange à Henri MARECHAL d’Etival parce que depuis que ses fermiers avaient été justiciers, elle ne pu trouver personne pour la louer, elle resta inculte et sans habitants pendant douze ans. Henri MARECHAL devenu propriétaire de cette grange la fit rétablir et y fit des augmentations dans le bâtiment. Dans les fouilles que l’on faisait, on trouvait beaucoup de cadavres, le cinquième des frères JANLORANT était manouvrier pour ces réparations et lorsque dans les creusages on trouvait des cadavres, les autres ouvriers demandaient à JANLORANT «  Claude (C’était son nom) celui ci avait sans doute bien de l’argent, combien en astre eu pour ta part ? » Il répondait dans son patois «  Hélas, ce n’est pas moi qui tuais ni qui volais, c’était mes frères, je n’en suis pas cause, je restais rarement à la maison, aussi on m’a rendu justice, ne m’en parler plus je vous en prie. »

Tout ce récit est rendu par un MARECHAL, petit-fils d’Henri MARECHAL qui assure avoir trouver dans les écrits de son aïeul toutes ces notes. Heureusement toute cette famille de JANLORANT est éteinte, mais l’histoire se perpétue depuis plusieurs siècles.

Ce n’est point là un conte de vielle grand-mère, c’est l’épilogue d’une histoire véritable. La preuve est facile à établir sur les faits suivants :
-Premièrement : il existe vraiment au-dessus de la montagne de la Crochère un gouffre sans doute profond comme il est dit, mais actuellement encore à peu près complètement comblé et que l’on nomme dans le pays « la Borne ou la Lésine à Janlorant. »
-Secondement : au bas de « La Chenalette », dans le jardin de la ferme, on voit encore les ruines de l’ancienne grange.
Il en reste un pan de mur percé d’une fenêtre étroite semblable à celle qu’on retrouve dans les écuries des anciennes habitations. Or c’est bien la grange habitée et tenue par la famille des JANLORANT. En effet, si cette ferme avec ses dépendances et propriétés appartient à M. MORREAU, elle faisait partie autrefois du domaine important que les MARECHAL possédaient à la Crochère. M. MORREAU l’a acheté à un M.VUILLERMOZ dont la mère, une Delle BUFFET était de la famille de Mme BUFFET colonels, héritiers possesseurs des biens des MARECHAL. De plus, dans les pièces relatives au procès que vers le dernier quart du XVIII siècle, M. MARECHAL intenta au prince De BEAUFFREMONT au sujet de ses terres de la Crochère, la preuve que cette grange était bien celle habitée par les JANLORANT. Mlle ROMANET de Moirans voyant sa ferme devenue improductive par manque de fermiers pour la faire valoir (personne ne voulait plus l’habiter ) la vendit en 1711 à M. Henri MARECHAL natif de Fort du Plasne, marchand à Etival. Dans ces titres, on ne donne pas la raison de la non-habitation de la grange, mais le fait seul vient confirmer la tradition qui elle nous la donne.
-Troisièmement : il est dit que cette famille de JANLORANT assassinait les pèlerins se rendant au tombeau du grand Thaumaturge Saint-Claude. Disons ici déjà que la voie romaine (marquée dans les plus anciens titres de Condat et dans la charte de 1234) qui de la Combe d’Ain par Clairvaux, Hautecourt, Châtel de Joux, Etival, Les Crozets, conduisant à Condat ou Saint-Claude était le chemin principal suivi par les pieux voyageurs. Si bien que pendant tout le moyen âge, cette voie porta le nom de « Chemin Des Pèlerins », ce n’est qu’après la conquête de la province qu’elle prit celui de « Chemin Royal. » C’était le chemin que suivaient les pèlerins à cheval, ou en brillantes escortes et riches caravanes. Mais entre Châtel de Joux et Etival, avant de parvenir à ce dernier village en bas « Des Saugives » et au pied du « Molard Levron », le vieux chemin d’Etival se bifurquait. Une charnière conduisait « Au Chazeaux » et au village d’Etival par « Les Echailliers. » Un autre tirait directement à la Crochère laissant à gauche les « Moulins De Contrechaux » traversait « L’Héreux du Moulin » et venait finir au pied de la côte. A l’endroit appelé « Le Pied De L’Ane », prenait un sentier appelé le « Sentier des Pèlerins. » D’après le plan dressé lors du procès de Beauffremont/Maréchal, ce sentier passait entre le « Pré Allardot » et « L’Héreux du Moulin », traversait le monticule et longeant la maison des JANLORANT montait « La Chenalette », il tirait au village des Piards, passant précisément auparavant proche du gouffre meurtrier appelé « La Borne A Janlorant ».
-Quatrièmement : il est dit également plus haut, qu’un des frères JANLORANT fut à la Doye de Buron, pendu à un chêne au pied duquel jaillit une fontaine dénommée « La Fontaine A Janlorant. » Or en 1902 M. le curé de Nogna, s’étant renseigné auprès des anciens habitants de la Doye de Buron, demeurant alors à Nogna (la famille DURANT) apprit qu’entre la Doye et le château de Beauregard, il existe vraiment une source qui s’appelle aujourd’hui encore la fontaine à JANLORANT. Preuve incontestable de la vérité de l’histoire.
-Cinquièmement : d’après la ligne de délimitation des territoires d’Etival Ronchaux, avec celui de Châtel de Joux, la ferme actuelle se trouve bien sur Châtel de Joux, mais l’ancienne grange se trouvait sur Etival : donc l’abbé de Saint-Claude était le haut justicier. Ce fut donc l’abbé de Saint-Claude qui fit arrêter ces brigands et les livra au bras séculier. Or cet ordre d’amener, en terme de justice, est resté dans la mémoire des habitants de la Crochère

« Arrêtés sur dénonciation d’honorable Robin Devaux dit Fanez, du village des Ronchaux, échappé providentiellement à leurs poignards, ces brigands furent condamnés à être roués et brûlés vifs. »

Joseph Romand dans sa rubrique n°10, revoit cette « Affaire » avec le regard de l’historien et la positionne dans son contexte. Nous vous invitons vivement à sa lecture. ( Ici )
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