Route des pèlerins

1913-04

Nous sommes arrivés à l’époque néfaste aux yeux de nos pères, du traité de Nimègue (17 septembre 1678), dont l’article XII consacrait l’annexion de la Franche-Comté à la France. Avant de donner l’historique des temps qui suivirent, que les amis lecteurs du bulletin, me permettent de parler de faits qui, tout le long du Moyen-âge, ont donné une certaine importance, je dirai une certaine vie à Etival : Je veux parler du grand nombre de voyageurs, ou mieux de pèlerins illustres qui ont traversé son territoire pendant plus de dix siècles.

J’ai dit au commencement de cette notice, que le territoire de la paroisse d’Etival, traversé par le chemin de grande communication numéro 118, de Clairvaux à Saint-Claude (ancienne route Départementale numéro 18), l’était depuis longtemps par une voie Gallo-Romaine, allant de Lédo (Lons-le-Saunier), par Clairvaux à la ville d’Antre, Condat, Genève.
Saint-Claude, né à Salins, chanoine de Besançon, puis Archevêque de cette ville, et enfin moine et abbé du monastère de Condat, qui après sa mort, attirera cette multitude de pèlerins remplis de confiance en celui qu’ils appellent « le grand faiseur de miracles », avait d’après la tradition locale, suivi cette route pour se rendre de Besançon au monastère de Condat vers 636.

Déjà auparavant, en 543, un autre illustre et non moins saint voyageur, avait dû suivre cette même route, pour se rendre en France. Ce voyageur était Saint Maur, moine du mont Cassin en Italie, que Saint Benoît, son supérieur, envoyait fonder un monastère de son ordre, dans le diocèse du Mans. Le voyage de Saint Maur est raconté par un de ses compagnons de route, qui non seulement retrace l’itinéraire, mais note plusieurs miracles accomplis par le Saint voyageur, entre autres, « La guérison du fils d’une pauvre veuve habitant une maison proche d’une chapelle dédiée à la très Sainte-Vierge » Or, d’après les chroniqueurs, ce lieu était Saint-Lupicin, qui seul à l’époque avait une chapelle ou église dédiée à la très Sainte-Vierge. De là, Saint Maur continua le chemin qu’il avait pris de Condat à Saint Lupicin et qui passant par Etival, le conduisait en France.

Plus tard, tout le long du moyen âge, ce sont aussi de nombreux et illustres pèlerins qui se rendent aux tombeaux des Saints de Condat, et entre autres au tombeau de Saint Claude.
L’histoire nous a conservé les noms de quelques uns des plus illustres.

Ainsi Philippe le Hardi, duc de Bourgogne, vient trois fois en pèlerinage à Saint-Claude, une première fois en 1369, une deuxième fois en 1376, une troisième en 1382, accompagné de 248 chevaliers.

Philippe le Bon visite le tombeau du Saint, en 1422. Vingt ans après, en 1442, il s’y rend une deuxième fois, accompagné de la duchesse de Bourgogne et entouré d’un cortège magnifique.

Le roi de France, Louis XI, y vint une première fois, n’étant encore que le Dauphin. Devenu roi, il y vint de nouveau en pèlerinage, l’année 1482, puis une troisième fois l’année qui suivit la conquête de la Franche-Comté, par ses armées, sans doute pour obtenir le pardon des maux qu’il avait répandus sur cette contrée et en réparer quelque peu les ruines.

Puis en 1604, pèlerinage de Sainte Jeanne de Chantal, se rendant de Dijon, à l’appel de Saint François de Sales, qui la mandait au tombeau de Saint Claude, suivant cette parole qui lui avait été dite autrefois en un extase :  » Tu n’entreras au sacré repos des enfants de Dieu, que par la porte de Saint-Claude «  Elle arriva à Saint-Claude le 21 août 1604, et le 28 août était sur la route de Dijon. En 1626, elle y revint une seconde fois.

Enfin d’après tous les chroniqueurs, les historiens, les traditions de la province, une multitude de pèlerins se rendaient de tous les points de la France, jusque de la Picardie au tombeau de Saint-Claude. Or, quelle route suivaient ces nombreux pèlerins? Les chroniqueurs ne nous tracent point leur itinéraire. Mais je ne crois pas qu’il y ait témérité de ma part, a faire passer ces pieuses caravanes, par Châtel de Joux et Etival. Je ne crois pas les raisons suivantes sans valeur, tout au contraire.
1°) Nous l’avons vu déjà, une voie Romaine passe sur le territoire de la paroisse, dès le VI siècle elle est marquée dans les archives de Condat. Une tradition locale y marque le passage de Saint-Claude, qui aurait passé une nuit à Châtel de Joux, sur l’emplacement de la chapelle actuelle qui lui est dédiée.
2°) En 1234, les sires de Cuisel, seigneurs de Clairvaux et de Châtel de Joux « s’engagent à protéger les voyageurs, les pèlerins, depuis le pont de Poëtte à Ravilloles ».
C’était donc le chemin suivi par les religieux, les colons, les pèlerins de la terre de Saint-Claude. D’ailleurs au moyen âge toutes les chroniques appellent ce chemin « Le chemin des pelerins »; dénomination suffisamment significative je pense.
3°) Dom.Benoit parlant de la chapelle des Piards « à laquelle des indulgences furent attachés, pour ceux qui la visiteraient « , dit : « comme elle était sur un des chemins des plus fréquentés par les pèlerins qui affluaient à Saint-Claude, elle reçut d’innombrables visiteurs dans le cours des siècles ». Or voici comment la chapelle des Piards se trouvait sur le passage des pèlerins. Je cite encore D.Benoit en appuyant son récit de documents que j’ai trouvé moi-même. « Les pèlerins qui venaient à Saint-Claude , par la route qui conduisait de la Combe-d’Ain au Lac d’Antre, montaient la Crochère au-dessus d’Etival et passait auprès des Piards, pour tomber par la Landoz, le Rivon et les Prés au village de Valfin et suivre le cours de la Bienne, jusqu’à la ville des Saints et des miracles.

Un tronçon de ce chemin porte encore le mon de « Sentier Des Pèlerins« , ce sentier que seuls pouvaient suivre les modestes piétons et non les riches caravanes, prenait entre Châtel-de-Joux et Etival au lieudit « Au Saugier, Aux Saugevettes, –Les Saugives « , et tirant en ligne directe à la Crochère, il montait la Chenalette. Mais si les piétons prenaient parfois le sentier des Pèlerins, les pèlerins à cheval ou en brillantes escortes, les riches caravanes continuaient de suivre le grand chemin lui aussi dénommé « le chemin des Pèlerins ». D’ailleurs, il n’y eut pas que la chapelle des Piards, fréquentée par les pèlerins, mais celle de Châtel de Joux et d’Estival ne le furent pas moins.

En effet, une fondation faite en décembre 1722, par Henry Maréchal et Claudine Bareau, son épouse, dud’Estival, en faveur de la chapelle de N.D.d’Estival, porte ces paroles significatives « et font lad’fondation en considération de la dévotion qu’ils ont à lad’Eglise bénitte ….connaissant la fluance du peuple y venir par dévotion de toute part de jour à autres… »
D’où cette affluence n’était autre que celle des pèlerins suivant la grande route pour se rendre à Saint-Claude.
4°) Sans vouloir aller contre la tradition moirantine, qui fait passer à Moirans, Maisod, le Pont de la Pyle quelques-uns de ces illustres pèlerins, par exemple : Sainte-Jeanne de Chantale, accompagnée jusqu’au château de Maisod, par saint-François de Sales, lors de son premier pèlerinage au tombeau de Saint-Claude, néanmoins, je crois trouver encore une preuve de la préférence accordée à la route d’Etival, d’ailleurs la plus courte, dans ce fait que      » en 1716, le pont de la Pyle était démoli et n’existait plus depuis de longues années, disent les chroniques. »
En 1795, on requiert des ouvriers, ( un charpentier de Châtel-de-Joux, Jean-Claude Jeantet), pour réparer et mettre en état le Pont de la Pyle, pour le transport des armées et subsistances « . Si bien qu’on peut dire que pendant un ou deux siècles, ce pont et par le fait le chemin de Maisod furent impraticables. Tandis que celui d’Etival le fut toujours, son état de conservation actuelle peut encore en témoigner.
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