1920-02
Erection de la chapellenie d’Etival en Paroisse
La Franche Comté vient d‘être définitivement annexée à la France par le traité de Nimègue. La terre de Saint-Claude qui, soumise aux horreurs de la guerre, avait fourni de vaillant défenseurs, les de Maisod, de Mandre et le chef des partisans, le fameux Lacuzon, commence à se repeupler à nouveau. Les habitants délaissent les fermes et les granges disséminées et brûlées, d’ailleurs pour la plupart pendant la guerre, pour se grouper autour de la chapelle élevée au centre du village. Mais alors bientôt, germe dans les esprits la pensée et le désir de voir leur chapelle vicariale convertie en église paroissiale et leur chapelain devenir curé. Les mêmes raisons qui ont valu naguère pour l’érection des chapelles, savoir : l’éloignement du centre paroissial et la difficulté des chemins seront invoqués pour l’érection en paroisse. Les suppliants sauront de plus y ajouter cette remarque : «C’est qu’ils ne doivent plus être obligés de payer redevances au curé de la paroisse mère, puisqu’ils n’ont plus besoin de ses services et que déjà ils payent leur chapelain »
Ajoutons qu’à l’époque ou nous sommes arrivés –Milieu du XVIIIème siècle- le zèle du premier évêque de St Claude Mgr Méaltet de Fargues ne contribua pas peu à l’érection de nouvelles paroisses, par exemple Cinquétral, Valfin, St Laurent etc.
Témoins attentifs de ces nombreuses érections, les habitants d’Etival et Ronchaux furent tentés d’imiter leur voisins et de faire les démarches nécessaires pour obtenir le même bienfait. L’église mère de Soucia étant de l’archidiocèse de Besançon, c’est devant le tribunal de l’Archevêque de Besançon que les susdits habitants devront porter l’affaire. Deux Archevêques auront à s’en occuper : le Cardinal Cleriadus de Choiseul Beaupré auquel ils présentèrent les premières suppliques, et Mgr Raymond de Durford-Léobard qui prendra le décret d’érection. Les raisons que les suppliants apportèrent ont sans doute une grande valeur aux yeux des juges illustres qui doivent trancher une question si grave, mais les habitants d’Etival et Ronchaux ont à faire à de puissants adversaires qui sont : le prince de Beauffremont, codécimateur de Ronchaux, le sieur Hugues François Junet, doyen des Montagnes, curé de Soucia, le habitants de Soucia, Thoiria, Champsigna, La Rochette, et si l’on veut, du moins pour la forme et le droit, Mgr Méallet de Fargues, décimateur d’Etival. Aussi la cause demeure-t-elle pendante durant 27 années. Il serait intéressant de suivre telle procédure en tous ses détails, mais beaucoup de pièces du procès ont disparu. Toutefois il en reste suffisamment pour nous permettre de la suivre avec intérêt. Avant de commencer les citations prévenons le lecteur de ne point oublier qu’en toute procédure, chacun des adversaires s’efforce de faire ressortir les raisons les plus favorables à sa cause, et d’amoindrir celles apportées par l’opposant. Mettons qu’ici, le jugement et la décision du tribunal de Mgr l’Archevêque de Besançon sont un garant des bonnes raisons des habitants d’Etival et de Ronchaux
Première démarche
1753 : La première pièce que nous trouvons relativement à ce long procès est
«Une délibération des habitants des communautés d’Estival et Ronchaux passée au lieux d’Estival le 21 Janvier 1753 par devant le notaire Bouguyot, contrôlée à Moyrans le 22 Janvier suivant »par laquelle ils nommèrent « Pour procureurs spéciaux Georges Berrèz et Claude-Joseph Bouvier d’Estival, Claude-Joseph Bunod et Claude-Estienne Cassabois de Ronchaux auxquels ils donnent plein pouvoir spécial et irrévocable de demander en leur nom leur dismembration de la paroisse de Soucia en tel tribunal qui conviendra.»
Puis c’est en 1756 une supplique des habitants desdites communautés à Mgr l’Archevêque de Besançon dont suit le résumé. Après avoir dénombré les villages qui constituent la paroisse de Soucia, noté la distance de plus d’une lieue et demi de la chapelle d’Estiva au centre de Soucia fait ressortir la difficulté des chemins, surtout en hiver, les suppliants, comme pour excuser la hardiesse de leur démarche et en même temps comme premier motif de confiance dans la justice de leur cause, rappellent habillement un antécédent fondé sur les mêmes motifs
Ils rappellent, sans insister, un inconvénient qui n’existe plus, puisque dès 1740, les mariages se font à la chapelle d’Etival, celui de voir des unions matrimoniales invalides pour ignorance et non-dénonciation de parenté. Mais le grand motif dont l’exposé remplit la majeure partie de la supplique est celui des charges matérielles qui accablent les suppliants. «Jusqu’à présent, disent ils, la fondation de 1414 a été exactement remplie, malgré que la rétribution du chapelain ait été considérablement augmentée, sans préjudice des redevances au curé et à l’église de Soucia. A tel point qu’en cet état, les suppliants se trouvent dans l’obligation de contribuer à l’entretient de deux églises, de deux presbytères et à fournir à tous les frais du culte. Sans compter les redevances aux décimateurs : à Ronchaux, le Prince de Beaufremond perçoit 14 quartaux chacun à 8 mesures le quartal ; à Etival, Mgr l’Evêque, 20 quartaux. Charges augmentées encore par les prestations particulières au curé de Soucia dont toutes les fonctions curiales à leur égard se réduisent à percevoir pour la bénédiction des gerbiers une certaine quantité de graines et autres casuels en argent. Toutes ces charges combinées avec celles nécessitées par l’entretient de leur chapelle et l rétribution du chapelain rendent onéreuse une fondation qui n’a été faite et autorisée que pour les soulager et dont il serait aisé cependant de leur faire sentir l’utilité primitive. Pour y parvenir, le moyen le plus sûr serait de démembrer la communauté des suppliants de celle de Soucia et d’en faire une paroisse distinguée. Celle de Soucia n’en souffrirait du tout point, elle en serait même soulagée de la partie la plus difficile et la plus onéreuse. Composée d’ailleurs de trois gros village, elle serait toujours fort considérable. Et d’autre part, une paroisse à Estival composée de ce village et de celui de Ronchaux comptant ensemble 62 feux ou environ, formerait encore dans le diocèse de votre grandeur un poste favorable pour un ecclésiastique qui aurait de quoi s’occuper et auquel les habitants, débarrassés des redevances dues au curé de Soucia, seraient à même de luy fournir une honeste subsistance. »
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Après avoir présenté la démembration comme avantageuse aux deux parties en constituant deux paroisses importantes, les suppliants ajoutent
« Il y a d’ailleurs à Etival une chapelle aussi grande qu’il faut pour contenir les habitants qui composeraient la paroisse. Elle est pourvue de tous les ornements et vases sacrés nécessaires. Enfin elle est rétribuée assez considérablement pour y entretenir un curé ».
Puis ils s’appuient de nouveau sur les charges ou redevances à la cure de Soucia.
« Outre les redevances aux décimateurs, les suppliants ont payés en 1742, 400 livres pour leur part afférente a des réparations de la maison curiale de Soucia, en 1748 20 livres pour réparations locatives, en 1749 une chaire, une bannière, une chappe, et il faut cette année raccommoder les couverts de l’église et de la cure.
A tout cela s’ajoute un casuel exorbitant que le curé se fait payer et plus de 6 livres par an pour pain et vin. On jugera sans peine que la communauté d’Estival et de Ronchaux ne peut que succomber sous le poids de toutes ces charges. « Ce considéré Monseigneur, il plaise à Votre Grandeur que les villages d’Etival et Ronchaux soient démembrés de la paroisse de Soucia pour former une paroisse distincte, moyennant quoi les suppliants seront libérés des charges et ils ne cesseront d’adresser leurs vœux au ciel pour la santé et la conservation de Votre Grandeur. »
En marge de la supplique, nous trouvons «la Teneur de l’ appointement.»
Soit la présente supplique communiquée pour réponse s’il y a lieu, et signifiée aux défendeurs. Sans aucun doute ceux-ci durent de leur côté établir, dès le principe, leurs moyens de défense, je n’ai pu en trouver la transcription. Mais du moins trouverons-nous, dans les réponses ou nouvelles suppliques des gens d’Etival, quelques-unes des raisons que les opposants donnent pour leur défense. C’est ainsi que dans une supplique de 1758 des habitants d’Etival nous trouvons en substance la réponse du curé de Soucia à leur première supplique. Il est vrai qu’une réduction en trois articles d’une longue réponse n’en donne pas toujours le caractère, et bien souvent aussi d’un côté comme de l’autre, les adversaires s’efforcent de faire ressortir ce qu’il y a de faible dans la supplique de l’autre partie.
Mais, je cite comme spécimen du genre cette note qui sous l’assurance d’un profond respect n’en est pas moins une réponse quelque peu ironique pour ne pas dire méchante.
» Qu’ a bien entendre les réponses que le sieur curé de Soucia a données, ensuite de l’appointement de Votre Grandeur, mis en marge de leur requête on peut les réduire à trois moyens sur lesquels il fait rouler tout son raisonnement.
1) Il taxe de fausseté et de mensonge l’exposé des suppliants.
2) Il les invective et leur fait des reproches aussi indécents qu’hors de propos et mal fondé, d’ivrognerie et de débauche.
3) Enfin il met ces deux frappantes exceptions sous la protection et sauve-garde de son zèle pour la conservation de son bénéfice.
Tels sont en deux mots les moyens d’opposition du sieur curé de Soucia? Que le curé de Soucia ait envie de conserver son bénéfice et mieux encore les droits qui en dépendent, c’est un point sur lequel les suppliants se font un devoir de lui rendre justice, ils croiraient lui manquer essentiellement, s’ils avaient le moindre soupçon et sur sa vigilance et sur l’ardeur de son zèle pour la manutation du bon ordre dans sa paroisse autant que pour celle des droits qui en forment le revenu. Mais que les suppliants soient des ivrognes et des débauchés, qu’ils dépensent dans les cabarets l ‘argent qui pourrait leur aider à fournir à la subsistance de leur curé on n ‘ ose pas penser qu’on ait voulu sérieusement proposer ces raisons, comme moyens capables d’ opérer un obstacle à la démembration que l’ on demande. Les suppliants pour prouver qu’ils ne se sont jamais écartés et qu ‘ils ne s ‘écarteront jamais du respect qu ‘ils doivent à leur curé, ne relèverons pas l ‘indécence de ces reproches ; en les mettant dans un plus grand jour, ils ne pourraient que lui donner la dure mortification de se faire apperçevoir que cette invective lui est pour le moins aussi désavantageuse qu ‘à eux-mêmes. »
Puis au Curé de Soucia qui fait de tous les motifs exposés dans leur supplique une simple raison de convenance, ils montrent que telle convenance est suffisante même quand il s’agit du bien des âmes puisque de la démembration résulterait une meilleure desserte en multipliant le nombre des ouvriers de la vigne du Seigneur et facilitant aux fidèles l’accomplissement de leurs devoirs religieux.
C’est d’ailleurs cette même raison de convenance qui va servir de motif à la démembration de Meussia de la paroisse de Charchilla – de même de Bois-d’Amont des Rousses et la chapelle de St-Laurent de l’église du Grandvaux.
Enfin une seconde fois ils font ressortir les charges qui pèsent sur eux ainsi que l’éloignement des lieux et la difficulté des chemins.
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La requête de 1758 ne devait pas aboutir et le changement de titulaire à l’Archevêché de Besançon fut sans doute une des raisons de ce retard. Mais les suppliants ne se lassent point.
Une nouvelle et pressants supplique est présentée en 1776 à Mgr Raymond de Durford Léobard. Après avoir rappelé les précédentes démarches, les suppliants appuient de nouveau leur requête sur l’éloignement des lieux et les difficultés des chemins et sans parler de la chapelle qu’ils possèdent au milieu d’eux. Ils narrent avec une grande douleur la triste situation des vieillards, des enfants et des malades . Ne pouvant vivre leur vie religieuse. Puis toujours les charges doubles pour eux et le peu de désavantage pour le curé et la paroisse de Soucia. Enfin ils appuient leur requête sur le pouvoir qu’ont les évêques d’établir, de leur propre autorité, des paroisses selon les besoins et l’utilité des peuples.
« Cette authorité est confirmée par l’art 24 de l’Edit d’avril 1695… Les Archevêques et Evêques pourront avec les solennités et procédures accoutumées ériger des cures dans les lieux où ils l’ estimeront nécessaire…et pourvoieront à la subsistance des curés par union des dismes et autres revenus en sorte qu’ils aient la somme de 300 livres. »
« Les dispositions de cet édit sont tirées d’ailleurs du concile de Trente Sess, 21, cap.4. Les Evêques peuvent donc de leur office ériger des cures sans même consulter ni le curé de paroisse à démembrer , ni même les fidèlesd de la nouvellle paroisse. Et le concile de Trente assigne pour cause les motifs exposés par les suppliants ? »
Requête sans aboutissement. Alors, 2ème requête en la même année. Celle -ci aboutit à une ordonnance du 2 février 1777 signée Burlet vic.gén. d’enquête de Comodo et Incomodo de l’érection de la chapelle d’Etival en Eglise paroissiale dont est chargé le sieur Landriot curé de Clairvaux-les-Vaudains, acceptant cette fonction.
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En vertu d’une ordonnance de M.Landriot curé de Clairvaux et par ministère de Léonard Tournier huissier royal à la résidence de Clairvaux des assignations furent portées à tous les intéressés et à divers habitants de Leschères et de Châtel de Joux ainsi qu’à Messire Grand ancien vicaire de Meussia pour procéder à l’enquête de commodo et incommodo qui eut lieu le 22 juillet 1777 en la maison de Claude-Joseph Bouvier, cabaretier à Etival. A fait défaut Mgr l ‘Evêque de St-Claude qui d’ailleurs ne formait aucune opposition.
Toutes les autres parties ont déclaré former opposition.
Quinze témoins furent entendus.
Un rapporteur juré fut nommé pour faire le mesurage et la description des chemins, ce fut l’arpenteur Darbon.
» Lequel a déclaré devant le commissaire qu’il avait mesuré exactement la distance qui se trouve depuis la chapelle d’Etival jusqu’à l ‘Eglise de Soucia en suivant en partie le chemin à chariot et le sentier qui conduit le plus directement les passans par des terres labourables, prés et bois, que la distance est de 2860 toises de Roy dont 825 traversant des bois de sapins; qu ‘en mesurant cette dernière distance il avait reconnu plusieurs pentes et montées rapides depuis 1 pied par toise jusqu’à 3 pieds 10 poulces à travers des montagnes à revers très-rapide et dans des sentiers couverts de bois de sapins, coudriers et buis ; qu ‘il a mis à vue de sa montre deux heures pour arriver en remontant sans s ‘ arrêter depuis le devant de l’Eglise de Soucia jusqu’à celle d’Etival.
Puis il donne ensuite les distances de Ronchaux et de la Lierre à Etival et Soucia en toises et en Kilomètres (La toise contenant 6 pieds et le pied de 0,33cm) 4706 toises = 9km320
De Ronchaux 3890 toises = 7km800
Et d’Etival 2860 toises = 5km600
D’où aller et retour 3 heures et demi d’Etival à Soucia
4 heures et demi de Ronchaux et
6 heures de la Lierre à Soucia.
(Retour à la vie paroissiale et religieuse.)